L’étroite route qui mène de Pizzone à Castel San Vincenzo parcourt 4 kilomètres à travers le fond de la vallée jusqu’à une arête rocheuse qui longe les pentes inférieures du mont Vallone. Avant 1928, Castel San Vincenzo était constitué de deux villages: le premier, construit au sommet de l’arête sur d’anciennes fortifications, était Castellone – ou Castellum, comme le rapporte le Chronicon Vulturnense médiéval− le second, un peu plus bas, était San Vincenzo al Volturno.
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Castel
San Vincenzo avec le Mainarde derrière.
Photo de
l’auteur.
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La plaine Rocchetta vu de Castel San Vincenzo. Photo de l’auteur. |
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En 824, quand l’Abbé Epyphanius prit ses fonctions, San Vincenzo était à son zénith. Epyphanius mena à leur terme les grands travaux commencés par ses prédécesseurs, avec la construction de la basilique San Vincenzo Maggiore au cœur de la cité monastique. Mais des temps difficiles allaient venir. Après avoir survécu à un violent tremblement de terre en 847, San Vincenzo fut pillé et brûlé en 881 par un groupe de Berbères. Les moines défendirent l’abbaye. Des centaines furent tués, selon le Chronicon, et avant d’être submergés, les survivants s’enfuirent à Capoue. Trente cinq ans passeraient avant qu’ils reviennent et commencent à reconstruire.
A la fin du 10° siècle, de nombreuses abbayes étaient en ruines, y compris San Vincenzo Maggiore. L’abbaye avait perdu beaucoup de ses terres, données en location aux nouveaux arrivants. Le Chronicon a enregistré un bail de 39 ans accordé en 945 par l’Abbé Leo à quatre hommes: Lupus, fils de Teudosus; Petrus, fils d’ Yselbertus; Adelbertus, fils de Flora; et Adus, fils de Leopardus. C'est ce qu'avait établi la charte pour Castro Samnie, le passé samnite reconnu dans le nom donné à ce village qui deviendrait Castel San Vincenzo. Au siècle suivant, une nouvelle abbaye fut construite sur l’autre rive du Volturno, de l’autre côté du pont en dos d’âne, qui existe toujours, appelé le Ponte della Zingara, le Pont de la Bohémienne. Les ruines de l’ancienne abbaye servirent de matériaux de construction.
La Vierge Marie, Reine de la Crypte de Epyphanius. Photo de l’auteur. |
Au cours des siècles suivants, l’ancien site serait recouvert, sa localisation exacte perdue. Jusqu’au 8 mars 1832, où la crypte d’Epiphane fut retrouvée par hasard sous une grange appartenant à Domenico Notardonato, qui en informa immédiatement le prêtre. En regardant par une petite ouverture rectangulaire, le prêtre vit que la crypte était en partie envahie de terre, mais, dans l’obscurité, on pouvait distinguer les couleurs ternies des fresques qui couvraient les murs. Ce n’est qu’à la fin du siècle qu’on entra dans la crypte et que la beauté des fresques byzantines fut révélée.
C’est dans ce monde-là que, le 17 juillet 1857, sur la Via Centrale, après le pont du 12° siècle nommé le Portale San Filippo, naquit mon arrière grand-père, Carmine Di Julio, père d’Emiddio, de Michele Di Julio et de sa femme Angela Maria Concetta Vacca. En quatre ans, le monde allait changer pour le petit Carmine. Alors que débutait la décennie de l’unification italienne, ou Risorgimento, l’ancien système féodal qu’avait connu son père commençait à disparaître. De nouveaux défis se présentaient à ce peuple de la Terra di Lavoro, pour qui l’annexion fut ressentie surtout comme une conquête et une colonisation par le nord. Outre la faim et la perte de leur terre, ils subirent les brigante, des bandits qui n’avaient rien à perdre et allaient hanter les collines dans les années suivantes, occupant Castellone et San Vincenzo deux fois dans la seule année 1861.
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Portale San Filippo, Castel San Vincenzo. Photo de l’auteur. |
Sur le plafond voûté de la Crypte d’Epiphane, par la petite ouverture, on arrivait à voir des dessins. Je pense à mon arrière grand-père. J’imagine l’adolescent qui, peut-être, est venu à cet endroit avec d’autres garçons du village –ou peut-être seul, au coeur de la nuit, pour relever un défi et s’affirmer. J’essaie de voir ce qu’il a vu, d’entendre ce qu’il a entendu, de sentir les odeurs portées par la nuit. J’espère ainsi combler le gouffre, effacer la distance des années pour revenir vers cet homme que je n’ai jamais connu mais dont l’essence coule dans mes veines. Quelques années plus tard, Carmine a épousé la jeune fille à Pizzone, de l’autre côté de la vallée. Ensemble, ils ont commencé une nouvelle vie, Via Centrale. Comme d’autres jeunes gens du village, ils voulaient mieux − pour eux-mêmes et leurs enfants. Ils ont économisé tout l’argent qu’ils pouvaient. Ils ont fait des projets avec les autres, et ensemble, ils ont réservé leur traversée. Etre nombreux donne du courage. Et ensemble, ils ont traversé l’Atlantique jusqu’au Nouveau Monde.
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